Genre et neurodiversité à l’écran

Revue Genre en série : cinéma, télévision, médias, numéro 20, 2025

Date limite de soumission des propositions : 3 février 2025

Dossier dirigé par Mélanie Lallet (CHUS, UCO), Sandra Hamiche (chercheuse associée à l’Irméccen, Université Sorbonne Nouvelle) et Marine Malet (University of Bergen ; chercheuse associée au CARISM, Université Paris Panthéon-Assas)

Texte de l’appel

La sociologue australienne Judy Singer formule le concept de neurodiversité à la fin des années 1990 à la suite du diagnostic de sa fille autiste. Elle prend conscience qu’elle est elle-même concernée, ainsi que sa mère, ce qui la conduit à repenser leur condition commune comme une différence de fonctionnement plutôt qu’un trouble (Chamak, 2015b ; Singer, 1999). Alors que les travaux sur l’intersectionnalité (Crenshaw, 1997) et les feminist disability studies (Garland-Thompson, 2004) poursuivent leur développement, la neurodiversité est progressivement pensée comme un élément à prendre en compte en articulation avec les catégories de classe, de genre, ou de race (Strand, 2017), pour enrichir le modèle social du handicap (Abberley, 1987 ; Albrecht, Ravaud et Stiker, 2001 ; Barton et Oliver, 1997 ; Goodley, 2017). Le concept est intégré au lexique de la communauté autiste dans le cadre de revendications pour la dépathologisation plaidant en faveur d’une conceptualisation de l’autisme comme un ensemble de particularités, observables dans le champ de l’interaction sociale, des centres d’intérêt et de la perception. Tandis que le concept de neurodiversité et les différences qu’il englobe font l’objet de controverses (Chamak, 2021), on observe la généralisation d’un mouvement culturel autour de ce concept parmi les personnes présentant diverses conditions autrefois définies uniquement en termes de santé mentale, et qui se reconnaissent davantage dans la représentation d’une personne atypique (Antonetta, 2005 ; Chamak, 2013 ; Martin, 2007). Plastique, le concept de neurodiversité tend aujourd’hui à désigner la variabilité cognitive de l’ensemble des personnes neurotypiques et neuroatypiques1 (Egner, 2019 ; Silberman, 2017) – cette dernière catégorie incluant différentes identités au-delà de l’autisme, telles que la bipolarité, la schizophrénie, le TDAH2, le HPI3, les dys4, etc.

Le renouvellement du regard sur l’autisme au prisme de la neurodiversité, en particulier, est aujourd’hui incarné par des recherches émergentes à l’international comme en France5 (Bagatell, 2010 ; Dachez, 2016 ; Lopera-Mármol et Malet, 2022), dont certaines s’intéressent à la dimension genrée des savoirs (Davidson, 2008 ; Jack, 2012 ; Laflamme et Chamberland, 2020). Les approches neuroqueer de l’autisme, portées par des chercheur·euses autistes et queer mobilisant l’épistémologie des savoirs situés (Haraway, 2007 ; Harding, 2003 ; Hartsock, 1998), interrogent également la place des personnes concernées dans l’actualisation des connaissances (aux États-Unis : Egner, 2018 ; Richter, 2017 ; Walker, 2023 ; Yergeau 2018 ; et en France : Coville et Lallet, 2023).

Un certain nombre de travaux se sont penchés sur les représentations de l’autisme dans les médias (Chamak, 2015a ; Dean et Nordahl-Hansen, 2021 ; Draaisma, 2009 ; Groner, 2012 ; Loftis, 2015 ; Matthews, 2019 ; Murray, 2008 ; Poe et Moseley, 2016) et leur dimension genrée (Jack, 2014 ; McHugh, 2018 ; Primerano, 2023 ; Tharian et al., 2019). Le numéro « Genre et neurodiversité à l’écran » aspire à interroger la notion même de neurodiversité et ses potentialités émancipatrices (Manning et al., 2012) au-delà de la seule question de l’autisme. Si les recherches sur l’autisme semblent en effet en bonne voie de structuration au sein des critical autism studies (Woods et al., 2018), l’appréhension d’autres variantes de fonctionnement cognitif depuis le paradigme de la neurodiversité fait encore l’objet d’une carence d’étude. Notre ambition, au-delà de l’analyse genrée des représentations de ces particularités à l’écran, est aussi de produire un état des lieux réflexif sur la place des approches féministes de la neurodiversité dans les médias audiovisuels au sens large (cinéma, télévision, jeux vidéo, vidéos et fanvidéos en ligne etc.). Les différents articles pourront prendre pour objet aussi bien les contenus fictionnels, que les productions à visée informationnelle ou de divertissement.

Les propositions s’inscriront, au choix, dans un ou plusieurs des axes identifiés ci-dessous, ou bien proposeront un angle original en rapport avec la thématique du numéro.

Axe 1. Production, représentation et réception genrées de la neurodiversité à l’écran

Un premier axe accueillera des contributions interrogeant la manière dont les séries, films ou autres productions médiatiques interagissent avec le monde social pour produire des représentations genrées de la neurodiversité à l’écran. Les auteur·ice∙s sont invité·e·s à articuler conjointement au moins deux niveaux de l’analyse des médias entre production, représentations et réception.

À titre d’exemple, les réceptions critiques dont a fait l’objet la première saison de la série états-unienne Atypical ont été prises en compte par la créatrice et ont influencé les modalités de production et l’évolution des représentations de l’autisme dans les saisons suivantes (Lopera-Mármol et Malet, 2022). Les allers-retours qui s’opèrent entre ces trois moments de production de sens et la manière dont l’un peut influer sur l’autre, pourront être interrogés.

Cet axe encourage également les textes proposant une réflexion autour de ce qui demeure aujourd’hui un impensé des enquêtes de réception : la prise en compte des personnes concernées par la neurodiversité. La place des personnes neuroatypiques dans les processus de création audiovisuelle, au croisement de différentes identités, est une des autres pistes plébiscitées dans cet axe. On pense par exemple aux nombreux·ses professionnel·le·s de l’animation et du jeu vidéo qui nous ont confié être concerné·e·s par une forme de neurodivergence et une expérience atypique du genre (Lallet, données non publiées) ou au développement des sensitivity readers dans les processus de création.

Axe 2. Le rôle du genre médiatique et du contexte culturel dans les représentations genrées de la neurodiversité

Des analyses pourront avoir pour objectif la contextualisation des représentations genrées de la neurodiversité au sein de genres médiatiques tels que la fiction (audiovisuelle, cinématographique, vidéoludique etc.), les médias d’informations (JT, documentaires etc.) ou encore, les divertissements (jeux télévisés, téléréalité, émissions de plateau, etc.). Elles étudieront les spécificités d’un genre ou adopteront une approche comparative.

Ces analyses examineront par exemple la manière dont l’un ou plusieurs de ces genres (et les dispositifs qui leurs sont propres) tendent à systématiquement reconduire ou, à l’inverse, à déstabiliser les stéréotypes et archétypes genrés de la neurodiversité, à l’instar de celui du « génie autiste » (Chamak, 2015a ; Coville et Lallet, 2023) porté récemment, dans sa version masculine, par la série Good Doctor (diffusée sur TF1) ou par l’intermédiaire de candidats de jeux télévisés (Paul El Kharrat dans Les Douze Coups de midi sur la même chaîne). Interroger le développement du pendant féminin de cette représentation sera également pertinent, à l’image des observations d’Adrien Primerano (2023) dans la fiction (série française Astrid et Raphaëlle sur France 2 et série coréenne Extraordinary Attorney Woo sur Netflix). Le cliché liant désir d’émancipation des femmes à la folie, à travers la figure de la « madwoman » (Donaldson, 2002), ainsi que l’association entre folie et santé mentale (Rohr, 2015), pourront également être réinterrogés au prisme du paradigme de la neurodiversité et du genre médiatique considéré.

Les contributions pourront aussi évaluer la capacité des genres dits « réalistes », tels que le documentaire ou le magazine, comme Les Rencontres du Papotin (France 2), à proposer des identités de genre plus diversifiées parmi les personnes neuroatypiques auxquelles elles donnent la parole. Il sera intéressant d’observer si le genre médiatique influe sur la tendance à se focaliser sur certaines formes de neuroatypies plutôt que d’autres, et sur la possibilité de développer les approches féministes de la neurodiversité.

Enfin, les articles pourront aussi s’attacher à la comparaison du traitement des représentations genrées de la neurodiversité dans un même genre médiatique en fonction du contexte culturel. Khadija Ejaz (2019) montre ainsi que les remakes indiens de films américains représentent les personnages autistes différemment, avec davantage d’interactions romantiques et sociales ainsi qu’un lien plus marqué avec la religion.

Axe 3. Approches intersectionnelles et savoirs situés

D’une manière générale, cet axe encourage les propositions qui interrogent la place des personnes neuroatypiques dans la recherche sur le genre et la neurodiversité à l’écran, articulée avec d’autres rapports de pouvoir : les propositions mettront en avant l’approche intersectionnelle de leur objet, en intégrant l’analyse de plusieurs dimensions au-delà du genre et de la neurodiversité. Notamment, il est attendu ici des propositions mobilisant les questions de race, d’âge et/ou de classe – souvent en retrait dans les travaux croisant genre et neurodiversité.

Nous souhaitons également encourager les articles qui placent au centre du propos l’explicitation de la position subjective de l’analyste vis-à-vis des questions de genre, de neurodiversité et d’intersectionnalité. Sans s’y limiter, le numéro a notamment pour objectif de faire une place aux recherches menées par des personnes concernées par la neurodiversité, et dont nous espérons qu’elles livreront des clés particulières d’accès aux différents terrains (cinématographiques, audiovisuels, vidéoludiques, faniques etc.) qui seront étudiés – que ce soit du côté de la production, des représentations ou de la réception.

Modalités de soumission des propositions d’articles

Les articles soumis ne doivent pas avoir fait l’objet de publication dans une autre revue ou dans des actes de colloque. Les propositions veilleront à expliciter et justifier l’approche disciplinaire et/ou méthodologique, ainsi que la façon dont elles se situent dans la littérature existante sur le genre et de quelle manière les problématiques liées à la neurodiversité sont abordées.

Rédigées en français ou en anglais, elles seront composées d’un argumentaire de 500-800 mots, d’une bibliographie et d’une notice biographique. Elles sont à envoyer aux coordinatrices du numéro (melanie.lallet@yahoo.fr ; sandra.hamiche@gmail.com et marine.malet@u-paris2.fr) en mettant la revue en copie (genreenseries@gmail.com) avant le 3 février 2025. Une réponse sera donnée autour du 3 mars 2025. Les articles devront être rendus pour le 30 juin 2025. Ils seront ensuite soumis à une expertise en double aveugle pour une publication prévue au printemps 2026.

Notes 

1 Voir par exemple le point de vue et les éléments de définition apportés dans ce billet de blog militant daté du 11 novembre 2019, « La neurodiversité : histoire, signification, vocabulaire », consulté pour la dernière fois le 17 juin 2024 : https://tapsychophobiemenvahit.wordpress.com/2019/11/11/la-neurodiversite-histoire-signification-vocabulaire/.

2 Trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité.

3 Haut potentiel intellectuel.

4 Dyslexie, dyspraxie, dyscalculie etc.

5 Citons également le colloque international Les représentations de l’autisme au cinéma, organisé par Hélène Vial, Marie Izaute et Caroline Lardy, qui se tiendra du 12 au 16 novembre 2024 à Clermont-Ferrand. Voir appel en ligne, consulté pour la dernière fois le 17 juin 2024 : https://calenda.org/1148080?file=1.

Bibliographie indicative

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ALBRECHT, Gary L., RAVAUD, Jean-François et STIKER, Henri-Jacques. « L’émergence des disability studies : état des lieux et perspectives », Sciences sociales et Santé, vol. 19, n° 4, 2001, p. 43-73.

ANTONETTA, Susanne. A Mind Apart: Travel in a Neurodiverse World, New York, Penguin, 2005.

BAGATELL, Nancy. « From Cure to Community: Transforming Notions of Autism », Ethos, vol. 38, n° 1, 2010, p. 33-55.

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