Les mutations des industries graphiques en Europe de l’Ouest, de la révolution industrielle à la révolution numérique. État des lieux et perspectives 

Juin 2025

 

Atelier-Musée de l’imprimerie de Malesherbes (45)

 

Échéance des propositions : 1er décembre 2024

 

Organisé par Marie-Cécile Bouju (Université Paris 8), Sylvain Lesage (Université de Lille) et Florian Moine (Université Paris 1).

Dans 50 ans d’histoire du livre, ouvrage bilan issu du colloque qui a célébré en 2008 le cinquantenaire de L’apparition du livre, l’historien Alan Marshall appelle à construire « une histoire des techniques graphiques » au XX e siècle, qui reste à ses yeux largement à écrire. Quinze ans après avoir été posé, ce constat demeure largement valable. En effet, si les débuts de l’imprimerie et ses conséquences sociales ont fait l’objet de travaux, de nombreux domaines restent encore insuffisamment mis en lumière :les transformations techniques des industries graphiques à partir de la fin du XIX e siècle – en dépit de travaux sur l’ offset (Eric Le Ray, 1994) – ainsi que ses effets sur l’évolution des métiers du livre (effacement progressif des métiers de la composition, réactions syndicales, formation du personnel…), la structuration du marché et des entreprises du secteur, les pratiques de consommation culturelle (essor de l’album, publicité), ou encore l’articulation entre recomposition des industries graphiques et réorganisation du travail de bureau.
Or l’étude de ces mutations constitue un moyen de mettre en perspective la révolution numérique en vigueur depuis la fin du XX e siècle, en soulignant notamment que la la digitalisation de l’information qui la caractérise est le fruit d’une évolution déjà en germe un siècle auparavant, avec le développement des procédés d’impression photomécaniques et le codage analogique. Cette dématérialisation de la fabrication contribue à l’internationalisation des productions culturelles : la généralisation de l’impression offset accélère ainsi la circulation des albums, un éditeur pouvant plus facilement envoyer à l’étranger les films d’impression nécessaires à la reproduction des images (Boulaire, 2016).
La focale sur la fabrication interroge également le rapport de nos sociétés à l’imprimé, à l’heure où se généralise la communication numérique et où se pose la question de « la mort du livre » (Chartier, 2009) : si l’informatisation rend obsolète certaines impressions au début du XXI e siècle (les annuaires téléphoniques et catalogues publicitaires ont ainsi disparu de notre vie quotidienne), la démocratisation des techniques d’impression, avec le développement de l’imprimante et de la photocopieuse, donne naissance à de nouvelles pratiques culturelles, ouvrant la voie à l’auto-édition et au do-it-yourself .
L’histoire des industries graphiques s’inscrit également dans une perspective d’histoire économique et sociale des entreprises et des travailleurs du livre. À cet égard, il conviendrait de mesurer le poids économique du secteur, d’interroger les stratégies entrepreneuriales face aux évolutions techniques – qui obligent à investir régulièrement de nouveaux capitaux et à former la main d’œuvre – ainsi que la réaction du monde ouvrier, et de mettre en évidence les conséquences de l’ouverture à la concurrence européenne et mondiale.
Le présent appel vise ainsi à dresser un état des lieux des recherches en cours sur l’histoire contemporaine des industries graphiques en Europe de l’ouest (France, Allemagne, Italie, Bénélux, Suisse, Grande-Bretagne) à l’occasion d’une journée d’études qui se déroulera à l’Atelier-Musée de l’imprimerie de Malesherbes en juin 2025. Les propositions feront l’objet d’échanges lors de cette journée dans l’objectif de constituer un dossier cohérent qui sera transmis à la Revue française d’histoire du livre .

Ces propositions pourront s’inscrire parmi les axes d’études suivants :
Les transformations techniques dans les industries graphiques. Les mutations concernent l’ensemble du processus de fabrication de l’imprimé, du secteur pré-presse à la finition, dans un mouvement qui va « de la mécanisation à l’informatisation » (Jean-Jacques Weber, 1995) et qui s’accélère après 1950. Les bouleversements dans le secteur de la composition sont certainement les plus spectaculaires. Les machines à composer Linotype/Monotype transforment le métier de « typo » à la fin du XIX e siècle, avant d’être rendues obsolètes par la photocomposition à partir du développement de la Lumitype-Photon dans les années 1940 (Alan Marshall, Henri-Jean Martin, 2003). L’émergence de la publication assistée par ordinateur (PAO), qui fait que la production de la chose imprimée n’est plus du ressort exclusif de l’imprimeur, provoque l’effacement des métiers de la composition. Du côté de l’impression proprement dite, les procédés lithographiques, avec le développement de la technique offset , remplacent les presses typographiques, ouvrant notamment de nouvelles perspectives dans l’édition enfantine et l’industrie de la publicité. Et plus globalement, il faudrait étudier les liens entre digitalisation de la chaîne graphique et naissance de la communication numérique.
L’organisation des entreprises du secteur des industries graphiques. Organisées autour de syndicats patronaux (Union syndicale des Maîtres imprimeurs de France, Union des industries graphiques et du livre en Belgique), les entreprises graphiques – souvent spécialisées dans un type d’impression – emploient 100 000 personnes en France au début des années 1970, et sont touchées de plein fouet par la recomposition du secteur. Les propositions pourront porter sur l’évolution de la filière dans un contexte d’accroissement de la concurrence à l’échelle européenne puis mondiale, l’organisation interne de ces entreprises ou encore leurs relations avec les pouvoirs publics dans un secteur stratégique et politiquement sensible.
Les travailleurs du livre : organisation, combats, formation professionnelle. Les transformations des industries graphiques affectent grandement le quotidien des ouvriers du livre, regroupés dans l’Hexagone derrière la bannière de la puissante Fédération française des Travailleurs du Livre (FFTL-CGT), qui doivent s’adapter à l’évolution de leur outil de travail (Rébérioux, 1981). L’accent pourra être mis sur les combats, dont certains sont devenus emblématiques (Chaix, Le Parisien libéré ) menés par ces travailleurs confrontés à la restructuration ou à la fermeture de leur entreprise ainsi qu’à leur formation professionnelle.
La transformation de l’imprimerie de labeur. Avec des innovations comme la machine à écrire, les techniques de reprographie (stencil, duplicatrice à alcool, photocopieuse) et plus tard l’expansion de la micro-informatique, l’évolution des industries graphiques rapproche deux secteurs auparavant éloignés : l’imprimerie et le bureau, avec des conséquences majeures sur l’évolution du travail et la tertiarisation de l’économie. Et plus globalement, les relations entre digitalisation de la chaîne graphique et naissance de la communication numérique sont à étudier.
Industries graphiques et nouvelles pratiques culturelles . La machine à écrire, la reprographie, l’accès plus aisé des techniques d’impression et des outils de préparation de copie la reprographie facilitent une explosion documentaire, mais également la diffusion d’écrits contestataires allant du tract politique à l’imprimé clandestin, en passant par l’explosion d’une scène contre-culturelle. Mais la transformation du paysage de l’imprimerie affecte aussi, plus largement, le champ de l’édition, constituant ainsi un facteur décisif du « printemps des éditeurs » (Bouvaist et Boin) en abaissant les coûts d’entrée sur le marché.

Les propositions de communication prendront la forme d’un résumé de 3 000 signes, à remettre avant le 1er décembre 2024 à Marie-Cécile Bouju (marie-cecile.bouju02[at]univ-paris8.fr), Sylvain Lesage (sylvain.lesage[at]univ-lille.fr) et Florian Moine (florian.moine[at]univ-paris1.fr).

Bibliographie
Frédéric Berroche, Oberthur : les combats des ouvriers du livre, Rennes, Apogée, 2009.
Johannes Bähr , Ralf Banken et Thomas Flemming, MAN: the history of a German industrial enterprise, München, C.H. Beck, 2009.
Louise-Mirabelle Biheng-Martinon, Voyage au pays des relieurs. L’évolution du métier de relieur en France au XX e siècle, Paris, l’Harmattan, 2004.
Marie-Cécile Bouju, De plomb et de papier. Les industries graphiques en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Les Indes savantes, 2024.
Jean-Marie Bouvaist et Jean-Guy Boin, Du printemps des éditeurs à l’âge de raison : les nouveaux éditeurs en France : 1974-1988, Paris, la Documentation française, 1989.
Cécile Boulaire, Les Petits Livres d’Or. Des albums pour enfants dans la France de la guerre froide, Tours, Presses Universitaires François Rabelais, 2016.
Sylvie Charlier, « Les ouvriers du livre parisien et leurs syndicats CGT dans la crise des années trente » thèse de doctorat en histoire sous la direction de Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky, Université Paris 8, 2006.
Roger Chartier, « La mort du livre ? », Communication & Langage , n°159, 2009/1.
Éric Le Ray, Frédéric Barbier et Pierre Albert, Marinoni : le fondateur de la presse moderne (1823-1904), Paris, l’Harmattan, 2009.
Éric Le Ray, « Histoire de l’Offset en France: de l’analogique au numérique : 1904-1994 », mémoire de maîtrise, Université Paris IV, 1995.
Constanze Lindemann et Harry Ness (dir.), Vom Buchdrucker zum Medientechnologen. Wege der Druckindustrie in die Welt der Digitalisierung, Hambourg, VSA, 2018.
Christian Longhi et Sylvie Rochhia , « “Ceci tuera cela ?” Dynamique des changements dans l’industrie du livre », Revue d’économie industrielle , 145, 2014, p. 121-154.
Alan Marshall et Henri-Jean Martin, Du plomb à la lumière: la Lumitype-photon et la naissance des industries graphiques modernes, Paris, France, Maison des sciences de l’homme, 2003.
Luc Peiren, De kinderen van Gutenberg, geschiedenis van de graphische vakbeweging in België voor 1975, Bruxelles-Gand, Vubpress – Amsab, 2006.
Madeleine Rebérioux, Les ouvriers du livre et leur fédération: un centenaire, 1881-1981 , Paris, Temps actuels, 1981.
Alice Savoie, « International cross-currents in typeface design: France, Britain and the USA in the phototypesetting era », thèse de doctorat sous la direction de Paul Luna , Fiona Ross et Alan Marshall , Université de Reading (UK), département de typographie et communication graphique, 2014.
Françoise Sitnikoff, « Culture de métier, changement technique et savoirs ouvriers : le cas de l’imprimerie », Thèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes, 1995.
Michael Twiman, L’imprimerie: histoire et techniques, Lyon, ENS éditions – Institut d’histoire du livre – Les Amis du Musée de l’imprimerie, 2007.
Jean-Jacques Weber, « Industries graphiques : de la mécanisation à l’informatisation », in Pascal Fouché (dir.), L’édition française depuis 1945, Paris, Cercle de la Librairie, 1998, p. 460-503.

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